SOL, ENSEM : LA RENTRÉE SUR LE TERRITOIRE
- Rosalie Moreau, Lisa Emmanuelidis
- 23 nov. 2021
- 7 min de lecture
Le MO.CO. a fait sa rentrée le 2 octobre avec SOL !, une biennale d'art contemporain. Intitulée "un pas de côté", la première édition de la biennale d'art contemporain est visible à la Panacée de Montpellier jusqu'au 9 janvier 2022. S'inscrivant dans la continuité des évènements annuels de rentrée, tels que le salon du dessin contemporain Drawing Room, Boom, et plus récemment 100 artistes dans la ville, Sol ! la biennale du territoire rassemble trente et un artistes dans l’espace d’exposition de la Panacée. L'ambition est de refléter le territoire et la scène artistique locale, tout en étant à la fois intergénérationnelle, inclusive, et généreuse. La biennale se veut aussi une plateforme de diffusion et de promotion nationale et internationale.

Cette première édition se concentre sur un phénomène de « décentrement » observé dans les pratiques artistiques contemporaines, une problématique chère à Nicolas Bourriaud, déjà présente dans son ouvrage The Radicant publié en 2009 que l’on retrouvait dans son essai L’exforme: Art, idéologie et rejet… Plus que jamais, la thématique de l’anthropocène se retrouve au cœur des préoccupations artistiques.
Les œuvres, montrées selon trois axes (le rapport à la nature ; le rapport à l’Histoire ; le rapport à la société), expriment un décalage libérateur qui ouvre un rapport au monde dénué d’apriori. Il est question de territoire, de proximité, de rassemblement entre artistes de tous horizons et générations.
L’équipe curatoriale rappelle que ce projet s’est engagé dès la création du MO.CO. en 2019 par des visites d’ateliers et des rencontres sur le territoire défini comme allant « de Sète à Alès et de Nîmes à Béziers ».« Après avoir recensé, avec l’aide des différents acteurs de l’art contemporain du territoire, plus de 300 artistes, nous avons rencontré une centaine d’entre eux afin de définir un premier ensemble de 31 artistes » peut-on lire dans l’introduction du livret de visite.
On lira dans l’extrait du texte de présentation reproduit ci-dessous comment cette idée de « décentrement » est au cœur de SOL ! La biennale du territoire.
Brouillant allégrement les frontières entre catégories (art brut, artisanat ou beaux-arts) et pratiques artistiques, le parcours s’articule selon trois thématiques qui parfois « se croisent et se rejoignent » : Le rapport à L'Histoire avec "Nous sommes tous des légendes", le rapport à la société avec "Bisous baston", et le rapport à la nature avec "Symbiose et totems".
Dans cette même préoccupation de territoire, de proximité et de rassemblement, Le MO.CO. inaugure le 16 octobre un projet monté au cœur de l'appellation des terrasses du Larzac dans le village de Montpeyroux.
Baptiste Aimé, acteur du projet et membre du collectif Cargo créé en 2017 à l'école des Beaux-Arts de Montpellier nous raconte son expérience.
Ensem (Ensemble, en occitan) est un projet inédit porté par la commune de Montpeyroux et le MO.CO. Réunissant quatre artistes et collectifs d'artistes, ce projet s'inscrit dans l'environnement social, culturel et patrimonial du village. Il vise à renforcer le faire ensemble et autrement en fusionnant la création d'œuvres, les enjeux écologiques, la participation citoyenne et la notion d'hospitalité. Les œuvres sont co-conçues par les habitants avec les artistes
L'idée est née d'une rencontre avec Julien Rodier, de Montpeyroux et le MO.CO. : il s'agissait de monter un projet post-covid en milieu rural aux ambitions de vivre ensemble et de partage. Cette volonté de montrer de l'art contemporain en s'intégrant au territoire et à la population était une réponse à la nécessité de ces moments de rencontre autour des œuvres.
Baptiste Aimé : Nous on travaille avec les gens et de cette manière
B.A. : Le village de Montpeyroux est constitué de plusieurs petits hameaux avec ses églises, ses petites places. Il a été question de créer un chemin à travers ces lieux, place par place où les habitants se déplaçaient avec nous afin d'échanger aux coins des rues. Il était important d'aller vers eux et de pouvoir aussi rencontrer les personnes à mobilité réduite. (...)On voulait s'implanter au Barry, on a d'abord pensé au château de Montpeyroux qui surplombe le hameau, mais en discutant avec les habitants, nous avons changé d'avis.
En direction du château, il y a un parking en chantier qu'on ne peut éviter lorsqu'on se rend au Barry. Il s'agit d'un sujet de tension avec la mairie, et donc d'un enjeu politique créant une réelle problématique pour les habitants. Il était donc question d'une réappropriation de cet espace voué à être entièrement goudronné, d'en faire quelque chose de bien, de réaménager le paysage. Pour se faire, le collectif utilise les matériaux sur place : terre, argile, bois, mais aussi de la chaux et des matériaux écologiques et traditionnels. La forme dépend des conditions territoriales et sociales. Le dôme oblige à se rencontrer et se regarder. Il est zone de convivialité, une structure sociale où on ne peut pas se tourner le dos, tout le monde se rassemble sur un point central. L'abri est doté d'un système son de voiture, il autonome en énergie grâce à des panneaux solaires afin d'assurer les quelques évènements sonores que proposait la structure. En faire une architecture indépendante, résistante, écologique est autonome était essentiel pour le groupe.
B.A. : L'idée était aussi de créer un espace ou l'on pourrait proposer des activités, des performances, des ateliers de yoga ou des concours de Mario kart. De proposer un espace populaire, destiné à être habité.
Le premier évènement qui s'est déroulé sous le Dôme est parti d'une initiative des habitants eux-mêmes. Un concert de Harpe, au style celtique a donc été organisé durant le chantier.
B.A. : Les gens se sont sentis très concernés par ce chantier participatif, ludique pour les enfants. Nous partagions des repas avec les habitants, les gens étaient très généreux. (...) On a vu le chantier du parking encore en cours comme une page blanche. On pouvait y faire quelque chose de manière assez libre
Le vernissage débute à 14h sur la place centrale du village. La visite commence par la pièce de ILE/MER/FROID. Le trio déploie un dispositif sculptural, intitulé Karts, sous le toit de la halle de la place centrale du village. Évoquant un paysage calcaire en lévitation, des phares de voitures, en quelque sorte fossilisés, sont suspendus dans le vide et se meuvent au gré des vents traversant. Le soir venu, la métamorphose s'opère quand les phares d'allument. Ce feu de lampes éclaire alors le cœurs du village et semble appeler au rassemblement.
ÎLE/MER/FROID est une entité artistique formée en 2014. Composée d’Antony Lille, Hugo Lemaire et Boris Geoffroy, basés respectivement à Sète, Paris et Marseille, ÎLE/MER/FROID est une pratique artistique commune, définie comme un quatrième corps prenant forme lors de périodes de travail intenses, de création et de vie commune. Cette pratique se situe et se développe dans le paysage, et se manifeste par la conception de systèmes de production qui prennent en compte dans le processus la fabrication des outils, des supports et des matériaux. Cette dynamique commune et son écologie de travail – soit le rapport triangulaire entre le groupe, le milieu et la production – en sont les moteurs principaux.

Le cortège se déplace ensuite vers la structure du collectif Cargo, le Mas Moula. Baptiste Aimé, Philip Berg, Morgan Vallé sont plasticiens, poètes, performeurs, musiciens, soudeurs, programmeurs, philosophes autogérés. Le collectif, naît d’une envie commune de partager, créer, œuvrer ensemble, collectiviser les idées et les savoir-faire, mélanger les univers. S’adapter et survivre à divers contextes par la récupération d’objets et leur détournement.
B.A. : Nous n'avons pas proposé d'activations ni de performance. Il s'agissait de présenter le Dôme au public.
Puis, nous nous déplaçons à la source "Les bains" afin de découvrir les oeuvres de Natsuko Uchino. L'artiste née en 1983, vit et travaille à Saint-Quentin la Poterie. Artiste, Professeure d’enseignement artistique spécialité céramique à l’École Supérieure d’Art et Design TALM – Le Mans, sa pratique est transversale entre art et écologie. Ses installations et performances allient aux matériaux multiples de la sculpture, l’image, l’objet fonctionnel et le vivant.
L'eau potable de la source dites "les bains" située à Montpeyroux, fut exploitée et commercialisée il y a quelques années par Cristaline. C'est une eau pure et limpide qui sort des Causses et du filtre naturel du jurassique. Au village on dit que les romains venaient y boire avec leurs chevaux, et que cette eau était commercialisée durant des siècle pour ses mérites. Aujourd'hui encore, les gens viennent des villes voisines faire la queue pour remplir leurs bidons.
C'est au fond de cette fameuse fontaine que Natsuko nous présente ses petites pièces de bronze difficile à percevoir du premier coup d'œil. Il s'agit de moulages d'os de sèche gravés et coulés de bronze, immergés dans l'eau.
Son travail a une dimension poétique et sociale. Dans le cadre de son projet, l'artiste proposait des workshops avec étudiants d'écoles d'arts, et des ateliers avec les écoles primaires maternelles de Montpeyroux. L'enjeu était de les initier au travail de la terre, et leur donner accès à cette ressource locale.

La suite de la visite nous emmène au cœur des vignes, face au mazet appelé le Mas des Songes, où des hommes et des femmes s'étaient rassemblés pour soutenir l'installation d'un petit vigneron et promouvoir une viticulture biologique et durable l'an passé. Flora Moscovici intervient sur ce joli Mas chargé d'histoire grâce à un pulvérisateur agricole et de la peinture à la chaux : un matériau écologique et traditionnel.
Flora Moscovici, née en 1985, vit et travaille à Paris. C'est une artiste qui intervient in situ dans des sites patrimoniaux. Elle travaille sur la lumière et la couleur, dans la forme et le fond, sur des supports variés.
Devant cette peinture éphémère, des chorales formées lors du premier confinement nous offrent une scène onirique. De quartiers en quartiers, les Montpeyroussiens chantaient depuis leurs fenêtres, puis se sont rassemblés après ces évènements afin de maintenir ce rituel.
Flora leur a proposé d'investir le Mas des songes le jour du vernissage avec des chants occitans et populaires, offrant au public un moment de convivialité. Les costumes avaient été conçus par ILE/MER/FROID grâce à des teintures végétales locales.

La déambulation se termine sur la place du village, où un marché d'artisans locaux s'installe. Les vignerons de la cave coopérative y servent à boire autour d'un buffet.
Un concert du goupe Portron Portron Lopez, puis de musiques cubaines. La foule entoure le char sonore autonome de Cargo en une procession jusqu'au dôme de pour faire la fête.
"Ces œuvres ont apporté plus de lien dans le village, davantage de convivialité, de l’entraide. Cela a transformé le regard des uns et des autres. Et cela a permis aux gens de se rencontrer. On en avait bien besoin après ces temps où les échanges étaient compliqués", apprécie Claude Carceller, maire de la commune.
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