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  • Lénaïc Roué, Cloé Brun

OIHANAMARRE : ENTRE PHOTOGRAPHIE DE MODE ET ESTHÉTIQUE DU MAUVAIS GOÛT

Obsédée par les mélanges, les paradoxes et l’ambiguïté, Oihanamarre propose à travers ses œuvres de véritables récits picturaux où se joignent photographie de mode et esthétique du strass.


Cartel Oihanamarre
Oihanamarre, série Passion Tram, 2020.

Oihana Ospital, de son nom d’artiste Oihanamarre, est une photographe, peintre et directrice artistique née en 1998. D’abord autodidacte, elle suit une classe préparatoire aux écoles d’art à Bayonne et entre par la suite à l’École Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier en 2017. Sa pratique, point de rencontre entre différentes esthétiques, affirme une identité artistique forte. Influencée par la culture punk, les années 1980, autant que par les œuvres de Sylvie Fleury, Oihana Ospital élabore des récits picturaux : « j’ai tendance à déformer, modeler, à faire baver tout en gardant des sujets figuratifs [1]».


Cartel Oihanamarre
Oihanamarre, série A day in Paris, 2021.

À la manière de l’artiste céramiste britannique Grayson Perry, Oihana Ospital prend pour sujet la société de consommation, ses modes et ses succès éphémères. En effet, ses photographies semblent parfois sortir d’un Vogue des années 1980. Un héritage assumé par l’artiste : « J’expérimente beaucoup en utilisant, par exemple, des procédés typiques des photographies de publicité des années 80. [2]» Cette décennie représente un moment crucial pour le médium photographique, symbole d’un élan novateur étroitement lié aux progrès techniques en la matière. Face à la démocratisation de la photographie en couleur de qualité et à l’apparition de nouveaux modèles tels que le Polaroid, les photographes développent des formes pictorialistes. Derrière cette ambition, il s’agit de proposer une autre mise en image du réel, en le transformant à l’aide d’artifices divers. Mise en scène réaliste ou fantaisiste, détournement du décor, ode à l’artifice et au strass, sont autant d’éléments que l’on retrouve dans les œuvres d’Oihana Ospital. Fortement inspirée par le photographe de mode allemand Juergen Teller et son Purple Magazine, l’artiste s’émancipe clairement de la photographie conventionnelle. Sa démarche expérimentale se rapproche du DIY (Do It Yourself) prôné par la culture punk, autre esthétique dominante dans sa pratique :


« Par le biais de filtres, la lumière crée des formes qui se superposent à la photo, elles deviennent un élément de composition. J’essaye d’avoir le contrôle tout en expérimentant. [3]»
Oihanamarre
Oihanamarre, série Tourista, 2021.

Son travail est souvent mis en lumière par des magazines de mode digitaux, comme récemment avec The Us Paris Magazine qui publie la série Tourista. Les modèles prennent la pose devant l’Arc de Triomphe empaqueté selon le projet de Christo et Jeanne-Claude. Le souci du détail est tel que le maquillage des modèles, réalisé par Éloïse Michel, prend la forme d’une tour Eiffel en strass et paillettes. L’artiste reprend tous les codes de la photographie de mode sans pour autant cacher une certaine affection pour l’aspect provoquant du mauvais goût signifié par une perche à selfie rose : l'outil ultime du touriste parisien.


Cartel Oihanamarre
Oihanamarre, Passion Tram, 2020.

Avec le paysage urbain comme terrain de prédilection, Oihana Ospital fait de Montpellier un véritable studio photo. La série Passion Tram (2020) rassemble plusieurs photographies ainsi qu’une performance en ligne, fruit de la collaboration avec une de ses amies de l’École Supérieure des Beaux-Arts. Depuis les années 1990, Montpellier métropole fait de son réseau de tramway une véritable signature en faisant appel à des artistes et designers pour décorer les rames, à l’image du couturier Christian Lacroix qui « habille » les lignes trois et quatre. Ainsi, chaque ligne possède sa thématique propre. Avec comme ligne directrice l’esthétique du tramway jugé « le plus sexy d’Europe » par le New York Times, les photographies d’Oihana Ospital mettent en scène des modèles dont les coiffures, les tenues ou le maquillage font référence aux différentes lignes. La série prend alors la forme d’un dialogue entre paysage urbain et artifices. L’artiste se plaît à mettre en opposition différents univers esthétiques au sein de ses travaux artistiques :


« J’aime autant intégrer les poubelles de ma rue que des bijoux en strass dans mes photos. »

Cartel Oihanamarre
Oihanamarre, A day in Paris, 2021.


A Day in Paris, projet qui réunit plusieurs photographies et un film réalisés en 2021, traduit bien ces questionnements qui sont au centre de la pratique d’Oihana Ospital. Marquée par son déménagement à Paris, elle travaille sur le « syndrome de Paris ». Ce trouble psychologique, qui touche les touristes à la recherche d’un Paris romantique idéalisé et qui subissent un trop fort désenchantement, n’est pas sans rappeler le syndrome de Stendhal. Dans ses Carnets de Voyages écrits en 1817, il est le premier à poser des mots sur cette sensation de mal-être devant la profusion d’œuvres d’art rencontrées lors d’un voyage. En faisant du paysage urbain de la capitale un décor récurrent, Oihana Ospital est confrontée à une forme de désillusion : « je me suis vite rendu compte qu’éviter une poubelle, des déchets, des travaux ou d’autres éléments perturbants est quasi-impossible. » A Day in Paris témoigne de l’utilisation du « moche » comme sujet photographique affirmé. Le contraste est alors saisissant entre une mariée aux couleurs vives qui pose devant la Tour Eiffel, symbole par excellence du Paris touristique, et les poubelles du Trocadéro. Ainsi, qu’il s’agisse de la foule ou de la saleté, aucun élément perturbateur n’est camouflé. Ces questionnements s’inscrivent dans l’actualité : ces derniers mois, l’apparition sur Twitter du hashtag « Saccage Paris », voué à critiquer violemment la mairie de Paris et sa gestion de la propreté, n’a pas laissé l’artiste indifférente. Ce mouvement qui dénonce l’enlaidissement et le délabrement supposé de Paris pointe du doigt le manque d’entretien de l’espace public. Accusé d’être mené par des groupuscules d’extrême-droite, le mouvement est au cœur du débat politique. Oihana Ospital, elle, fait le choix dans ses travaux photographiques d’intégrer les ordures et autres formes de dégradations urbaines et d’en faire un sujet photographique à part entière. Comme elle l’affirme :


« Je photographie le réel, je souhaite montrer les choses telles qu’elles sont mais j’aime aussi y intégrer des mises en scène.[4]»

Avec le réel comme palimpseste, l’artiste étudie les différents visages de Paris, à la fois capitale de la mode et symbole de désillusions, comme en témoigne l’édition Foutre les pieds à Paris qu’elle compose en 2021. Journal de bord de son périple parisien, l’édition de cinquante pages réunit clichés intimes et photographies numériques de mode.

Si les récits picturaux proposés par Oihana Ospital semblent être tirés de réalités alternatives où l’esthétique kitsch aurait rejoint la mode des années 2000, ce n’est pas pour autant qu’ils mettent à distance les préoccupations politiques et sociologiques actuelles. Les années 1980 n’ont pas dit leur dernier mot et Oihana Ospital nous le prouve à travers des photographies-tableaux captivantes et immersives. Animée par la volonté d’ « aller plus loin que le réel [5]»,l’artiste reprend les codes de la photographie de mode en y intégrant des éléments trash, comme une nostalgie affirmée pour la culture punk et ses fanzines aux accents grunge.


Véritable fil rouge de sa pratique, ces questionnements autour du « moche » dans la photographie seront au centre de son futur projet dont seul le titre, qui en dit déjà long, nous est parvenu : Entre romantisme et poubelle. Oihana Ospital, toujours en formation aux Beaux-Arts de Montpellier, est une artiste à surveiller : son compte Instagram @oihanamarre propose un échantillon de ses différentes collaborations et séries photographiques. En attendant de futurs projets, son site internet oihanamarre.com présente l’ensemble de ses travaux.



2 Ibid.

3 Ibid.

5 Ibid.

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