top of page
Rechercher
  • Antoine Dupuy

RODOLPHE HUGUET : L’ÉLOGE DE LA TROUVAILLE

En interrogeant notre rapport aux objets et le devenir des fétiches cultuels, Rodolphe Huguet prône une vision recentrée sur les artisans, premiers créateurs de savoir-faire ancestraux. Portrait d’un artiste à la frontière entre les arts plastiques et l’ethnographie. ARTICLE PAR ANTOINE DUPUY


Cartel Rodolphe Huguet art contemporain
Portrait de l’artiste nîmois Rodolphe Huguet, © Paula G. Vidal Photography

Ancien étudiant des Beaux-Arts de Nîmes, puis de Montpellier, Rodolphe Huguet est un représentant de la production artistique de ces deux villes sur la scène contemporaine. Consacré par de nombreuses expositions individuelles et collectives depuis une vingtaine d’années, il est aujourd’hui un acteur important du paysage artistique français. Présent parmi les collections de plusieurs Fonds Régionaux d’Art Contemporain (FRAC), l’artiste est également l'auteur de plusieurs commandes publiques en Occitanie, dont deux œuvres au titre du 1% artistique à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 et a l’Institut Universitaire de Formations des Maîtres de Toulouse.


Son art prend racine dans son rapport à l’altérité, à la communion entre les cultures. Imprégné par l’universalisme de l’art, il initie, dès la fin de ses études, un premier voyage au Maroc. Il s’intègre alors à la population et devient acteur de la vie économique de Fès. Simple entrepreneur dans la Médina, il est nourri par des découvertes formelles et techniques au contact des artisans. Dans ce terreau fertile, il conçoit ses premières œuvres, , « des objets dialectiques, qui engendrent une mise en crise de leurs modèles [1] ». Déclinant le sempiternel panier en osier, outil marchand associé au souk, en œuvre anthropomorphe, il promeut une nouvelle fonction au matériau. Devenu métonymie d’un besoin primaire – celui de se nourrir – cet instrument tressé entretient alors un rapport critique envers un environnement marqué par des inégalités sociales. En Afrique, puis en Asie, cet explorateur utilise les connaissances artisanales pour concevoir et revisiter des objets-signes, à la fois symboles de la société contemporaine et héritages culturels.

[1] Pascal Beausse, Rodolphe Huguet, Paris, éditions Monografik, 2009, p. 14.


Un art de la sérendipité

Cartel RODOLPHE HUGUET
Vue de l'exposition Pharmacopée, Hôtel Cabrières-Sabatier d’Espeyran (2020), © Montpellier Méditerranée Métropole

L’artiste s’inscrit dans la tradition du hasard de la découverte, de la trouvaille fortuite des avant-gardes historiques. Aux limites entre la performance et le travail documentaire, sa démarche vise la production d’objets et d’events contingents. S’il place les rencontres au cœur de ses principes, c’est car l’artiste excelle dans sa maîtrise de la sérendipité, du renversement de la situation banale, quotidienne, en une véritable expérience artistique. Aux côtés des populations, Rodolphe Huguet documente, filme, photographie. Lors d’un voyage en Inde, en 2003, il fabrique une tenue de père noël pour distribuer des cadeaux dans les rues de Old Delhi. La particularité formelle de ce costume se trouvait dans ses dix bras cousus, référence à l’iconographie de Shiva. Avec ce décalage volontaire entre l’imagerie mercantile d’un Père Noël fabriquée par la multinationale occidentale, figure du capitalisme, et l’iconographie religieuse du pays, Rodolphe Huguet inaugure l’enjeu de la transmédialité comme solution entre le détachement de l’art et du réel. Pour cette série, l’artiste décline l’image du Baba Noël à l’aide de différents médias, dont la vidéo.


En effet, l’art, « c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art [1] » proclamait l’artiste Robert Filliou à l’aune du XXIe siècle. Aujourd’hui, tout le travail plastique de Rodolphe Huguet témoigne d’une anastrophe de cette citation emblématique. Pour lui, c’est la vie qui nourrit son art et lui permet de s’illustrer ; l’environnement constitue une condition ontologique et sine qua non de l’existence de son œuvre plastique. Celui-ci est organisé autour de thèmes obsessionnels ; de leitmotiv. Une paire de basket, un costume de père noël, des caméras de surveillances, … sont autant de fétiches de la société postmoderne que le plasticien détourne.

[1] Jacques Donguy, Robert Filliou, Richard Martel, L’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art, Paris, éditions Les Presses du Réel, 2003.


Le voyage comme traitement


Cartel Rodolphe Huguet
Rodolphe Huguet, Bronze n°1608, 2005-2006, sculpture, Bronze et patine noire, 21 x 8 x 31,5 cm, collection particulière. © Rodolphe Huguet

Cette critique de la société consumériste, outrancière, est-elle la conséquence du vécu de l’artiste ? Si la corrélation peut sembler douteuse, il est néanmoins pertinent de souligner que Rodolphe Huguet est né au sein du pessimisme de la fin des Trente Glorieuses, à l’ère de l’effondrement des grands-récits et du mythe révolutionnaire. Si l’ère post-mai 1968 semble si importante, c’est parce que celle-ci s’accompagne de nombreux changements sociétaux et culturelles. Les années de formation de l’artiste sont marquées par l’émergence d’une société du spectacle de plus en plus présente et d’une homogénéisation culturelle mondiale. Dès le début des années 1990, la France connaît une crise se répercutant dans le milieu de l’art contemporain. Les artistes ne vendent plus, la société change. Difficile, en effet, de revendiquer un statut d’artiste au cours de la dernière décennie du XXe siècle. Cette génération de plasticiens est en effet marquée, jusqu’en 1997, par une profonde crise du marché de l’art qui se répercute sur l’institution des Beaux-Arts. Selon Yves Michaud, de nombreux étudiants s’orientent alors vers l’éducation afin de palier ce bouleversement économique qui influence non seulement le secteur culturel mais également l’ensemble des marchés.


L’explication de ce contexte particulier, empli d’un pessimisme latent, est-il une exégèse de l’art de Rodolphe Huguet ? Si rien ne permet de l’affirmer, il paraît opportun de souligner que le voyage apparaît comme échappatoire à une vision unique de l’art. Face à la société du spectacle, l’artiste nîmois prône une vision recentrée sur les artisans, premiers créateurs de savoir-faire ancestraux. Loin d’une vision de dépendance du travailleur sur l’artiste, il travaille en parfaite intelligence avec les artisans, ne laissant jamais sa pratique prendre le pas sur la technicité de ceux-ci. Héritier des Triste Tropiques de Claude Lévi-Strauss, Rodolphe Huguet est le révélateur de la pluralité technique et des spécificités culturelles.


De la question du registre


Entre interprétations culturelles et cultuelles, l’artiste détourne la forme et destination des matériaux tout en interrogeant la frontière entre l’art et le quotidien des peuples. Au terme de ses voyages Rodolphe Huguet extrait l’essence de ses expériences et produit ses œuvres d’art à l’aide de matières empiriques. Ainsi, l’apprentissage lui sert à concevoir un nouveau vocabulaire plastique. Au cours d’une immersion dans la tuilerie Monier, à Marseille, il réalise de nombreuses œuvres à partir de tuiles qu’il modifie. Pour celle-ci, Rodolphe Huguet dégage la forme de l’injonction de sa fonctionnalité et ce matériau devient alors l’indice du voyage. Il réalise des barques en tuile ou de maisons-valises, tout en engageant un discours politique.


Tantôt observateur, tantôt propagateur, Rodolphe Huguet porte un regard critique sur le monde dans lequel il évolue et dresse un constat sur ce dernier. Les œuvres sont ses moyens d’expression, souvent engagées, parfois cyniques. Il est certain que l’artiste contemporain raille les conditions de vie de l’humain postmoderne. En ce sens, il fait figure d’entité scrutatrice : la remise en cause de la société de consommation, la menace de la crise écologique, ou encore l’escalade des tensions politiques apparaissent comme autant de problématiques pouvant l’intéresser. Se pose alors la question du registre de la transposition de son regard. Est-il nécessaire de choquer, heurter, interpeler vivement le spectateur ou, au contraire jouer sur le décalage, avec ironie et légèreté ?

Cartel Rodolphe Huguet
Rodolphe Huguet, Sans titre (Épisode Méditerranéen), 2017-2018. 174 tuiles en terre cuite brute et engobées, cintres, fer à béton. © Jean-Christophe Lett / Frac Provence-Alpe-Cote d’Azur

La fausse légèreté des œuvres de Rodolphe Huguet peut étonner au regard du sérieux des sujets qu’il aborde. S’il ne se cache pas d’un engagement politique très marqué – comme en témoigne l’exposition Bon Vent en 2019 pour le Frac Provence Alpes Côte d’Azur, traitant des conditions de traversée, violentes et rudes, des migrants –, ces productions ne sont jamais virulentes ou dérangeantes. En ce sens, il prend le contre-pied d’une artiste telle que Mona Hatoum. Si l’artiste exprime une certaine ironie dans ses caméras factices, reflets d’une société paranoïaque et sécuritaire, celles-ci n’en restent pas moins plaisantes voire facétieuses. Ses Anti-trophées, exposant l’arrière-train d’animaux à la place d’une habituelle représentation en cape, moquent la culture cynégétique sans choquer le spectateur. Il n’est pas question de violence graphique, mais d’un décalage entre l’environnement de monstration et l’œuvre. L’étrangeté, la dissonance, l’incongru forment les conditions nécessaires à la réception critique de ses objets-signes.


L’Actualité

Cartel Rodolphe Huguet
Rodolphe Huguet et Benoît Laffiché, "La grande Banderole", Cancale, France, mai 2020. © www.institutfrancais.com

Du 27 novembre 2021 au 5 février 2022 est présenté le projet collectif Superfish # 1 Autant changer l’heure des marées au sein de l’Artothèque, Espaces d’art contemporain de Caen. Cette réflexion, réalisée depuis 2018 par Rodolphe Huguet et Benoît Laffiché (1970 -), propose d’étudier les habitudes culturelles et sociologiques à travers le monde par le prisme de la pêche traditionnelle. De l’Amérique du sud à l’Afrique en passant par l’Europe, cette thématique est conçue comme un véritable moteur pour la création d’espace de discussions et d’échanges. Superfish réuni un collectif d’artistes et d’habitants au profil varié : pêcheurs, surfeurs, marabouts ou encore trafiquants. Fidèle aux autres œuvres de Rodolphe Huguet, ce projet est à la frontière entre la performance, l’exposition et l’espace réflexif et intellectuel sur le lien unissant les pays. Par le biais de celui-ci, l’artiste Nîmois renforce l’idée d’un art universel comme pont entre les cultures.


Instagram de l'artiste : @Huguetrodolphe

Plus d'information sur le projet Superfish sur le site de l'institut français.



bottom of page