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  • Tuan Gazagnes

RAPHAËL BARONTINI, UN ARTISTE ET SON HISTOIRE


Cartel Raphaël  Barontini
Raphaël Barontini, Cape d'Aida, 2021, sérigraphie et impression digitale sur tissu, passementerie.

« J’habite un long silence » exposition du 7 octobre 2021 au 7 mars 2022


C’est sur le site archéologique Lattara – le musée dédié à la ville portuaire antique – que l’artiste Raphael Barontini expose ses créations. Depuis 2007, le musée s’associe avec des artistes et propose, lors d’une exposition, des œuvres conçues in situ. C’est un travail collaboratif de plusieurs mois entre l’artiste en résidence et la directrice Diane Dusseaux. Le musée présente une collection d’artefacts découverts sur le site, venant de cultures différentes : gauloises, étrusques ou grecques.

Ce n’est, peut-être, pas par hasard que l’artiste est sensible aux objets exposés au musée de Lattes, puisqu’il est originaire de Saint-Denis. Comme Lattara, Saint-Denis a une l’histoire éclectique et diverse. C’est une ville en perpétuel mouvement, à la fois ancrée dans l’histoire de France (tombeau des rois de France) et en même temps en pleine construction identitaire (ville ouvrière, multi-ethnique). Ce brassage culturel, cette « capitale multi-ethnique », a indéniablement imprégné son travail qu’il qualifie de créole. La créolisation, c’est le métissage de l’art, du langage qui produit de l’inattendu. Selon lui, « c’est un espace où la dispersion permet de se rassembler, où les chocs de cultures, la disharmonie, le désordre, l’interférence deviennent créateurs ». Il aime penser qu’il fait partie de cette créolisation puisqu’il a en lui du sang guadeloupéen et italien.


Une exposition sous l’emblème de la créolisation des cultures

L’artiste est connu pour un travail artistique dynamique, tant sur ses créations plastiques que sur ses performances. Imprégné dès son enfance de batucada, et en étant lui-même membre d’un groupe, c’est à l’occasion du carnaval que l’artiste s’épanouit pleinement. En effet c’est pour lui une grande expérience sensorielle ; intériorisant cette mixité multidisciplinaire où le travestissement, l’art du charivari, la musique, s’entrechoquent. Inspiré par la synergie envoutante du carnaval, l’artiste n’hésite pas à utiliser des médiums différents. Ainsi poussé par un désir de s’émanciper des techniques classiques, il expérimente la sérigraphie, les aérosols et le pochoir dans sa peinture. Il donne naissance à ses créatures hybrides, à la fois totalement anthropomorphiques et oniriques. Ses œuvres sont aussi une réappropriation de récits méconnus, qui grâce à la déconstruction de ceux-ci, et par un réassemblage savant, stratifiés par une iconographique riche, apparaissent sous la forme de bannière, de drapés, de capes, de costumes performatifs et de tableaux.

Cartel : Raphaël  Barontini
Raphaël Barontini, Dionysos, 2021, acrylique, encre et sérigraphie sur toile.

Dans l’exposition « J’habite un long silence », Les œuvres de Raphael Barontini nous confrontent à une part sombre de l’histoire de France ; celle des colonies et de l’esclavage. Comme un chamane vaudou, il nous plonge dans un voyage initiatique, présentant des portraits – historiques ou fictifs – tout droit sortis de son imaginaire créole. La narration est au centre de son travail, faisant le pont entre plusieurs cultures. C’est ainsi que l’artiste va mettre en scène le dieu Dionysos (dieu du vin, dieu libérateur), accompagné de sa panthère, réinterprétée sous les traits de Toussaint Bréda (un général haïtien et une des grandes figures des mouvements d'émancipation des colonies). Plus loin, l’artiste nous propose un portrait d’un fier Hercule, l’artiste ayant utilisé le visage de Breno Mello, un acteur afro-américain connu pour avoir joué dans Black Orpheus (1958) de Marcel Camus. L’actrice Marpessa Dawn, qui joue le rôle d’Eurydice dans ce dernier, est métamorphosée pour l’occasion en une Aphrodite. Au centre de l’exposition se trouve une cape majestueuse représentant le visage de Léontine Price qui fut la première femme noire à avoir chanté à l’opéra de New York. C’est sur le corps d’une sculpture d’Athéna, déesse de l’art, que l’artiste a voulu nous la présenter.

Les grands récits épiques comme celui de l’Odyssée – mais aussi les vagues successives d’immigrations noires –imprégnèrent l’imaginaire du jeune Raphaël. C’est grâce à l’œuvre de Jacob Lawrence qu’il découvrit l’histoire afro-américaine et plus précisément l’exode des populations noires du sud pour des villes comme Chicago, New York ou Saint-Louis. Dans l’exposition, les déplacements forcés en masse qui jalonnent l’histoire afro-américaine, sont signifiés par la présence d’un bateau (en particulier dans l’œuvre intitulée Back to Itacus), qu’on pourrait interpréter comme un retour aux sources créoles, ou retour à l’Histoire Noire, l’Histoire coloniale. En effet, ces déplacements se faisaient principalement par voie maritime. Itacus (l’artiste), s’éloigne de l’Occident sur un bateau pour se repentir dans un temple fictif issu de la créolisation à Djenne (mosquée de Djenne), haut lieu spirituel du savoir, de la culture — la ville aux 313 saints.

Une dissonance entre les œuvres de Barontini et le musée Henri Prades à Lattes

Depuis la dernière décennie, dans un souci d’ouverture à de nouveaux publics, il est de plus en plus courant qu’un commissaire de musée invite ou intègre dans les collections de l’art contemporain. C’est ainsi qu’on a pu voir des Homards de Jeff Koons à Versailles, des peintures de Soulages au Louvre, des œuvres contemporaines au musée de la chasse et la pêche à Paris et, pour ce qui nous concerne, une série d’œuvres de Raphael Barontini au musée Henri Prades à Lattes. Cependant, ce qui pourrait être une bonne idée en théorie n’est malheureusement pas toujours un succès. En effet, le risque pourrait être une dénaturation d’un lieu plus qu’une proposition innovante d’expériences sensorielles. Le travail difficile et curatorial d’un lieu, quand il s’agit de rajouter de créations contemporaines dans un cadre existant et strict qu’est celui de Lattes, nécessiterait une vision aiguisée et visionnaire qui manque à Diane Dusseaux. L’impression dominante est une divergence artistique flagrante : d’une part, un travail très abouti d’un artiste qui parle de mixité culturelle, du carnaval, de la performativité, de la décolonisation ; et de l’autre, des objets venant de cultures antiques différentes, mais qui restent très classiques pour un œil non averti. Le lien entre ses deux mondes reste à désirer.


Cartel Raphaël Barontini
Raphaël Barontini, The blue Amazon, 2021, tapisserie de soie et laine.

De plus, peut-on parler d’art lorsque le portrait d’une femme noire, placé sur un des murs d’une maison d’origine gauloise, travestie pour l’occasion, évoque une habitation traditionnelle camerounaise : c’est-à-dire des peaux de bête au sol, des ustensiles de cuisine et de la terre battue comme isolant thermique sur les murs ? Ne serait-il pas trop simpliste d’associer des images de sculptures grecques à des visages africains d’origines différentes, et justifier cette démarche en parlant de la diversité des cultures antiques exposées au musée de Lattes ? Est-il éthiquement correct de traiter un sujet comme la décolonisation dans un musée de l’antiquité ? Est-ce un amalgame maladroit, ou un parti pris ? Sujet toujours très sensible puisqu’un des reproches faits au président Macron ; lors du sommet Afrique/France qui a eu lieu à Montpellier du 7 au 9 octobre 2021, portait sur le bilan de l’histoire coloniale française.

L’artiste mériterait un lieu plus adapté pour ses créations. De mémoire, l’exposition « Jeff Koons Mucem » avait été une réussite puisqu’il y avait un dialogue entre les pièces de Koons avec des objets du quotidien qui provenaient de la collection du Mucem. Les objets curationnés par les soins d’Elena Geuna et Émilie Girard, par leurs proximités avec les œuvres de Koons, proposaient une nouvelle grille de lecture de ses dernières. Sur ce principe, un effort curatiorial aurait pu être fait par un choix d’objets provenant du musée Henri Prades et qui part un jeu de miroir avec les œuvres de Raphael Barontini, nous aurait permis : d’une part une meilleure compréhension de ses pratiques artistiques ; et d’autre part, d’apprécier les artefacts provenant de Latarra – qu’il faut bien le reconnaitre, sont d’une facture exceptionnelle –. Un lieu comme le carré saint Anne aurait pu être un choix plus judicieux.

En dépit de ses quelques critiques mineures, l’exposition « J’habite un long silence » mérite d’être vue. Au passage, on notera que le musée de Lattes n’est pas le seul lieu où on peut voir ses créations. C’est à une portée internationale que l’artiste s’exporte. Ainsi, l’artiste est représenté à la galerie Mariane Ibrahim à Paris qui, lors de son inauguration, invita une dizaine d’artistes à venir exposer.

L’artiste expose depuis le 18 novembre dans une exposition intitulée : « Dust Specks on the Sea » à la Galerie The Walter and McBean, qui travaille en partenariat avec l’institut d’art de San Francisco. La ligne constructrice de cette exposition est la présence d’une douzaine d'artistes contemporains de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane française et d'Haïti. Ils abordent collectivement les différents positionnements des conditions postcoloniales dans ces régions. En 2022, à partir du 12 Mars, l’artiste va exposer quelques-uns de ses costumes performatifs lors de l’exposition intitulée : « Garmenting: Costume as Contemporary Art » au Musée des Arts et du Design de New York. Et enfin, du 04 juin au 17 juillet, ses créations pourront être vues à la biennale de la photographie de Mulhouse.


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