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  • Pierre Chalard, Thaïs Michel

ENTRETIEN AVEC CARLA LESUEUR UNE PHOTOGRAPHE ÉMERGENTE

Carla Lesueur ou «Sonboncarl» est une jeune artiste photographe originaire de Nice. Pendant plusieurs années, Carla a pratiqué la photographie au sein de sa vie privée. Elle a commencé à utiliser ses proches comme sujets, et ses premières inspirations ont été teintées de formes et d'ambiances sudistes ou encore des célèbres soirées azuréennes au grain si particulier.


Cartel Carla Lesueur
Carla Lesueur, Untitled #006, septembre 2021.

Elle développe au fur et à mesure une pratique plurielle de la photographie entre portraits, approche géométrique, nus, ou plus récemment un travail sur l’abstraction et le conceptuel dans lequel l’humain disparaît peu à peu. Elle a aussi réalisé des projets avec des amis artistes. Carla ne limite donc pas son champ des possibles. On retrouve une préférence forte pour le noir et blanc et la photographie argentique, mais aussi quelques touches de couleurs notamment lors de projets au numérique ( cf. Série « Les couleurs en Italie » lors de l’été 2021, sur son Instagram.)


Depuis septembre 2021, Carla a intégré l’école de photographie «Bloo» à Lyon pour perfectionner et professionnaliser sa pratique.

Elle présentera son travail début 2022 à Lyon dans les jolies pentes de Croix-Rousse, dans l’espace « Collision ». Affaire à suivre…


Bonjour Carla ou Sonboncarl…comment t’est venue l’idée de la pratique artistique ? Et plus précisément la pratique photographique ? Quelles ont été tes inspirations, tes modèles ?



« J'ai toujours était attirée par l’art sous toutes ses formes. Aller voir des expositions, visiter des lieux culturels et aller au cinéma ont toujours fait partie de mon quotidien. La photographie s'est très vite détachée des autres médiums, notamment grâce au Théâtre de la photographie à Nice. Ce fut le seul musée où je n'ai manqué presque aucune exposition. Mes premiers souvenirs photographiques ont été à l’occasion de la rétrospective sur Jean-Paul Goude et Steve McCurry. Au fur et à mesure du temps, je n'ai jamais cessé de m'intéresser à la photographie, et c’est avec la découverte de grands photographes tel que René Burri, Robert Frank, Mary Ellen Mark, Henri Cartier-Bresson et bien d'autres que mon envie de faire partie de ce milieu est née.

J’ai donc commencé à pratiquer classiquement avec la prise de vue de mes amis en soirée, ils ont été mes premiers modèles. Quand je me suis rendue compte - au bout de quatre années d’études en droit- que je préférais passer mon temps libre à étudier les photographes, leur œuvre et surtout à faire des photos, plutôt qu'à me documenter sur l’actualité juridique, je me suis alors demandé ce que je voulais faire comme métier. La photographie s’est alors inexorablement imposée. »


Cartel Carla Lesueur
Carla Lesueur, L'oiseau chante avec ses doigts, octobre 2021.

Tu faisais de la photo, pendant tes anciennes études. Pourquoi t’es-tu orientée vers une école ? (au lieu de continuer de façon autodidacte) ? Penses-tu que la légitimation artistique actuelle passe forcément par l’école ou c'était “simplement” parce que tu ressentais le besoin de te perfectionner ?



« Je me suis longuement posé la question de savoir si je continuais de façon « autodidacte », ou si je choisissais la sécurité en passant par une école. La question du financement était également importante, sans parler du fait qu’il n’y a presque que des écoles privées dans ce domaine, moi qui ai toujours été une fervente partisane de l’enseignement public. J’ai tout de suite compris en m’intéressant au milieu professionnel, que ce serait bien plus compliqué de s’en sortir toute seule, sans bagage technique et sans aucun réseau. Je me suis donc résignée à chercher une école privée dans un premier temps, afin d’obtenir les clefs nécessaires pour intégrer une plus grande école - publique cette fois - après minimum deux années d’études. Je ne pense pas que la légitimation artistique passe nécessairement par une école, et ce n’est pas dans ce but-là que j’ai souhaité en faire partie. C’est bien pour ce besoin personnel de me perfectionner, de rencontrer des professionnels et surtout de partager mes journées avec d’autres personnes de mon âge, ayant les mêmes envies. C’est un cadre que je trouvais, et que je trouve de plus en plus sécurisant. »



Tu es dans une école de photographie à Lyon. Est-ce que tu peux un peu nous en parler ? Est ce que c’est une école récente ou installée depuis longtemps ? Comment fonctionne l’enseignement de la pratique photographique ?



« Je suis dans une école qui s'appelle Bloo. C'est une école plutôt axée sur la photographie d’auteur, mais toutes les autres branches y sont également enseignées. Il s'agit d'une école créée en collaboration avec la Galerie « Bleu du ciel » basée depuis vingt ans à Lyon. L'école a été ouverte en 2009 et commence à acquérir une bonne renommée. C'est une petite structure au sein de laquelle il y a trois classes, les premières, les deuxièmes et les troisièmes années, avec un effectif maximum de treize étudiants par classe, le but étant vraiment qu’on soit suivi personnellement et que l’enseignement soit de la meilleure qualité possible.

Le réel atout de cette école tient à la qualité des intervenants qui en font partie. Nous n’avons pas de professeurs à proprement parler, il s’agit uniquement de praticiens de la photographie qui viennent quelques jours par mois transmettre leur savoir et leur pratique de ce médium. Aucune semaine ne se ressemble, tantôt axée sur une pratique plutôt technique, tantôt sur une compréhension et analyse des œuvres et des artistes, mais également sur un coté bien plus formel par l’étude de l’environnement professionnel en photographie dans son ensemble. À côté des cours, le programme est rythmé par de nombreux workshops, pendant lesquels d’autres professionnels de la photo interviennent sur un sujet donné (la prise de vue en studio, la chambre photographique, l’écriture de scénario, le laboratoire, la post-production via la maitrise d’InDesign et/ou Photoshop). L’apprentissage est donc très complet et varié, mais surtout dynamique, comme notre futur emploi du temps en tant que praticien de la photographie est amené à l’être. »


Cartel Carla Lesueur
Carla Lesueur, Le Bal des inconnus, juin 2021.

Peux-tu nous parler de ta démarche artistique ? Du style de photographie que tu pratiques ?



J’ai commencé tout simplement la photographie avec ce qui se trouvait être le plus proche de moi, c’est à dire mes amis, et mon entourage en général. Au début, j’étais très attirée par le fait de prendre des gens en photo, leurs expressions du visage, leurs mouvements dans l’espace. Et pendant longtemps, c’est sur cette pratique plutôt portraitiste que je me suis focalisée, avec toujours cette envie d’avoir des sujets humains au cœur de mon propos photographique. J’ai donc alterné les prises de vue spontanées (dans la rue, en soirée…), et d’autres prises plus mises en scène (j’ai souvent organisé des shootings, en intérieur, avec une ou deux personnes choisies au préalable. J’ai d’ailleurs énormément aimé ce travail de partage avec les modèles. Ils se sentaient généralement à l’aise, ils m’ont souvent proposé des idées de composition et de pose, et je me laissais volontiers aller à les accepter, c’était toujours un moment de partage très agréable et le résultat s’en trouvait bien meilleur.

Ces derniers temps, je suis de plus en plus attirée par des sujets inanimés, qui ne sont pas humains, des sujets inertes, auxquels on ne porte pas forcément attention lorsqu’on marche dans la rue - des plantes, des tâches et des striures dans le sol, des objets oubliés ou qui n’ont rien à faire là... Je suis d’ailleurs en train de développer mon projet personnel de fin d’année d’étude autour de ce thème : donner à voir « une autre réalité ». En me rapprochant très près de ces sujets, je cherche à les transformer, à leur donner une toute autre forme, à dérouter quiconque regarderait les photos, et se demanderait « mais de quoi peut-il bien s’agir ? ». Ce travail de désorientation a, quant à lui, toujours fait partie de mon travail. Je tente d’apporter une dimension onirique, mystérieuse, étrange et déroutante dans l’ensemble de mes images. Pour cela, j’utilise plusieurs procédés ; l’utilisation du noir et blanc, quasi systématique, la prise de vue au boîtier argentique dans le but de donner beaucoup de grain et une autre temporalité, la multi exposition, le travail du flou, et l’accentuation des contrastes.

Depuis mon entrée à Bloo, l’enseignement est tellement riche que mes idées et inspirations fusent. C’est très épanouissant, tant sur le plan personnel qu’artistique. Presque chaque jour, une nouvelle envie de série photographique, de test, d’innovation me vient à l’esprit. Je prends toujours le soin, à n’importe quel moment, de les noter quelque part, afin de bien les développer après, et de les mettre en œuvre. Ma dernière idée est née hier soir pendant une séance de cinéma ; faire une série photographique à partir d’un assemblage de photogrammes -arrêt sur image, images photographiques d’un film. Cette série m’est venue entre autres dans le but de mêler la photographie avec mon autre passion, le cinéma. »


Cartel Carla Lesueur
Carla Lesueur, Les nuits de mon joli village II, novembre 2021.

En tant que jeune artiste, comment partages-tu ton travail avec le public ? Les réseaux sociaux et les sites sont-ils tes moyens de communication ou démarches-tu des institutions pour exposer ton travail ? Peux-tu parler de tes moyens de communication et de la manière dont tu interagis avec le public ?



« Je partage majoritairement mon travail via Instagram et un site internet que j’ai créé récemment. Je commence à constituer une petite communauté sur ce réseau social, sur lequel je partage mes photographies à raison d’une tous les deux jours en moyenne. La récurrence de ces partages permet de créer des liens avec des personnes partageant le même contenu que moi et par conséquent, une diffusion plus rapide et massive. En matière de communication, je passe beaucoup de temps sur ce réseau afin de trouver moi-même des comptes qui m’inspirent et me plaisent; on peut s’envoyer des messages, se poser des questions, avoir des interactions via des sondages avec notre communauté.

J’ai aussi créé moi-même mon propre site, qui rassemble en cinq séries une représentation de mon travail.

Il m’est arrivé tout récemment de démarcher un lieu d’exposition / d’évènements associatifs / bar / qui propose également des résidences d’artistes, afin de pouvoir exposer mon travail. Cet endroit se situe au centre ville de Lyon et s’appelle « Collision ». J’ai rencontré le directeur, afin de discuter de mon travail et de voir si cela l’intéressait. Quelques jours plus tard, celui-ci m’a recontacté pour me dire qu’il était effectivement très intéressé et qu’il aimerait que j’expose pendant une durée d’un mois. Il y aura un vernissage pour l’évènement, et je devrai faire un choix de photos organisées en série, autour d’un thème sur lequel j’écrirai quelques mots. J’ai vraiment hâte de tirer les photos et d’essayer différents styles d’accrochage, de les assembler les unes avec les autres ! Ce sera la première fois que mes photos seront organisées ensemble de façon matérialisée, et surtout que des personnes pourront les voir grandeur nature, c’est une aventure qui m’excite énormément et que j’ai vraiment hâte de commencer ».


Cartel Carla Lesueur
Carla Lesueur, Untitled #002, avril 2021.

Autour de toi, et plus particulièrement à Lyon, observes-tu une dynamique artistique chez les jeunes ? Et plus particulièrement dans la photographie ?



« Il me semble que la jeunesse artistique à Lyon est plutôt développée, nous avons souvent des rencontres de jeunes photographes et de photographes en tout genre organisés par des collectifs. Au niveau musical il y a très fréquemment des concerts organisés dans des petites salles à Lyon, presque toutes les semaines. En ce qui concerne la photographie, il y a de nombreux collectifs, présents notamment sur les réseaux, et des associations et ateliers auxquels nous pouvons participer en tant que jeunes photographes issus de Nice. Des appels à projet sont également faits pour les artistes émergents. »



En tant que jeune artiste, en quête de reconnaissance, est- il possible de vivre de la photographie artistique ?



« Actuellement, il m’arrive de vendre assez fréquemment des tirages de mes photographies, mais c’est bien loin d’être suffisant pour en vivre. Plus tard j’aimerais bien-sûr vivre uniquement de ma passion et développer sur tous les thèmes photographiques que j’ai envie de mettre en œuvre et/ou d’approfondir. J’aimerais également beaucoup travailler avec d’autres personnes, pour créer peut être un projet commun de groupe, un travail sur lequel chacun pourrait apporter sa pierre à l’édifice. Je pense que l’altérité est très enrichissante et même indispensable pour développer sa créativité. À côté de cette activité, je pense que je serais également amenée faire des travaux de commande, c’est quelque chose qui m’intrigue et m’intéresse également. »


Cartel Carla Lesueur
Carla Lesueur, Les nuits de mon joli village V, novembre 2021.

Au terme de ces années dans cette école y’a-t-il des débouchés ? Est-ce que tu as des exemples autour de toi d’anciens élèves de l’école qui ont réussi à présenter leur travail dans des institutions



« Au terme de trois années d’études à Bloo, il existe de nombreux débouchés. En effet, nous pouvons choisir de continuer nos études dans dans grandes écoles d’art (ENSP Arles, Beaux-Arts…), nous pouvons commencer directement à travailler en tant que photographes mais également dans tous les métiers gravitant autour de l’image elle-même (scénographe, commissaire d’exposition, salarié au sein d’une institution culturelle, cinéma…).

La plupart des anciens élèves auprès de qui je me suis renseignée avant de faire partie de cette école, ne sont d’ailleurs pas photographes aujourd’hui, mais travaillent dans ces métiers de l’image. D’autres voient leur travail exposé en galerie et/ou dans des magazines de photographie dès leur sortie de l’école, d’autres encore ont intégré des écoles de photographie et d’art afin de continuer leur cursus dans les établissements les plus prestigieux. »



Quel est l’objectif pour une jeune artiste comme toi à terme ?



« J’aimerais énormément grandir encore dans mon travail, et pouvoir diffuser celui-ci au sein de galeries dans un premier temps. J’aimerais également intégrer des résidences d’artistes pour travailler sur un sujet ou un territoire en particulier, approfondir réellement un sujet - pas simplement du point de vue de la photographie mais également littéraire, documentaire, plastique…, et ce, aux côtés d’autres personnes.

Il me plairait également de pouvoir travailler avec d’autres médiums, dans cette envie d’explorer tous les domaines artistiques possibles, et d’ainsi avoir une pratique plus plastique. Je pense notamment au cinéma à terme, ou encore à des techniques plus anciennes et ancestrales, telles que la céramique, la pyrogravure, le sténopé… »


Cartel Carla Lesueur
Carla Lesueur, Rêver d'une nuit agitée, mars 2021.

Est-ce que les institutions reconnues sont la meilleure voie selon toi ou existe-t-il des chemins parallèles pour faire reconnaître son travail artistique ?



« Il est clair que les institutions reconnues telles que le Jeu de Paume, la MEP, ou encore les grands musées d’art contemporain sont la voie royale pour tout photographe auteur. Et bien évidemment j’espère pouvoir y diffuser mon travail un jour, mais cela est réservé à un très petit groupe d’artistes triés sur le volet. Heureusement, il existe bien d’autres chemins pour faire reconnaître son travail !

Dans les galeries pour commencer ! Ce sont de plus petites institutions dans lesquelles le grand public se rend évidemment bien moins. Cela étant, c’est aujourd'hui le plus grand moyen de diffusion que les photographes-auteurs utilisent, quand ils le peuvent, car il permet de faire valoir et de légitimer son travail au sein du milieu artistique.

On peut également citer les éditeurs, bien entendu, afin de faire paraître un ou plusieurs livres de photographies sur une série donnée. Et enfin, mais moins enviable sur le long terme quand même, les réseaux sociaux sont faciles d’accès pour tout le monde mais ne permettent pas un réel développement en tant qu’artiste. »


-> Site Web : carlalesueur

-> Instagram : @sonboncarl


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